Mickael
Stibling
RAWDOGS
Skatezine
Crée en 2016 par Matthieu Foltz alias Mog, Rawdogs est un fanzine documentant la vitalité de la scène skate locale et de toute une constellation de baroudeurs de l'underground paumés à jamais dans le Texas français.

On trouvera toujours des gens qui refusent de gober toute cette merde, j'ai toujours aimé ça chez les skateurs. Ils transforment le paysage urbain en airs de jeux, en montagne et en plage. Et cela sape l'autorité d'une manière bien plus importante que ne le veut ou ne le peut la rhétorique politique.
- Penny Rimbaud, Crass
« Faut que tu saches un truc Mick pour qu'une photo soit valable, il est important que le type en mouvement replaque son trick, sinon tu ne peux pas l'accepter », a commencé par me dire Mog, l’âme de Rawdogs. Soit, ce serait donc la seule règle que nous respecterions.
Avec son skate, ce gars-là était balèze. Il prenait des risques méchants, qu'il soit beurré ou défoncé. Il était déjà passé plusieurs fois sur le billard, on lui avait même posé des vis dans le dos, c'est pour dire. Alors à force de le fréquenter, je me suis habitué à le voir s'exploser, la tête en avant contre le béton. Chez lui, la peur de l'accident avait fini par être compensée par un mépris complet des blessures physiques. Il était ce qu'il était, pas le genre à passer par quatre chemins. En tant qu'individu, on pouvait le traiter de cinglé, (ou d'adjectifs plus sophistiqués) il en acceptait la donne, et c'est sans doute pour ça qu'il poussait sa planche avec un style et une aisance que seules les expériences douloureuses révèlent. Socialement, c'était un vaincu à tous les niveaux, excepté un domaine, dans lequel il n'était pas disposé à se montrer prudent encore moins à faire des politesses.
A l'époque où on commençait sérieusement à chercher un nom qui en jette, j'étais à fond sur le Raw Power des Stooges, l'album de Search & Destroy. Mog aimait bien le terme Raw qui renvoyait au format de fichier brut en photographie. Mais il trouvait qu'il manquait un détail, quelque chose qui rappelle l'esprit de meute qui nous unissait et permettrait à d'autres de s'identifier au truc. On a échangé quelques noms comme ça à la va-vite. Et puis, il a lâché RAWDOGS... ça sonnait grave...
Je ne sais plus comment a débuté toute cette histoire. A vrai dire, on s'en fout complètement, ça devait sûrement commencer comme n'importe quels faits divers de la région. Par un dimanche d'automne merdique, deux mecs se réunissent pour passer le temps jusqu'à ce que l'un d'eux ait subitement une idée absurde qui fasse marrer l'autre. Faut dire que dans le coin, il se passait pas grand chose. Pour écouter le moindre concert satisfaisant, fallait se taper minimum trente bornes en bagnole. Pour le skate, c'était là même, on pouvait carrément éluder la promesse des skateparks encore plus dépouillés que les friches de la région. La désuétude totale, aucun intérêt sinon rien, la zone.
Heureusement, chez les riders, le respect ne s’obtenait pas dans les parks mais dans la street. Depuis l'invention de la planche à roulette, c'était comme ça. La rue avait toujours été un espace immense d'appropriation et de possibles, un stimulant, une jouissance, un principe devenu philosophie autant qu'une esthétique ou la seule limite en fin de compte est celle dictée par l'esprit. J'ai tout de suite senti qu'avec les Rawdogs ce problème n'en était pas un. Je n'ai jamais vu aucun de ces mecs venir se la raconter, fanfaronnade machin que j'me la pose bidon. De toutes façons avec leurs gueules en dehors du coup y a pas une marque de canettes énergisantes ou de T-shirt à slogan racoleur qui aurait sponsorisé l'un de ces tarés et ils le savaient. Les Rawdogs dont je parle étaient des trimards, des vagabonds, des laissés pour compte qui hantent les rues et la place publique avec la même persévérance que d'autres emploient dans les couloirs des rames de métro, leur projet se résumait à skater, skater, skater, point barre.
Sur leurs planches, ils ne ressemblaient à rien, ni à personne, mais tous assurés grave. Ajoutez à cela, les vestes débraillées, les t-shirts miteux et les jean's bousillés, les bandeaux sur le front qui claquent au vent, ils avaient un look d'enfer, c'est clair. Et puis, ils faisaient un tel ramdam. N'importe quels badauds les voyant débouler pour la première fois à toute berzingue, les auraient pris pour des sauvages. On ne pouvait pas les rater. Les SCREEE! SRAWWRR ! RRRAEEIKKHR ! des roues éraflant le bitume, on aurait dit une horde de putois hurlant à la lune, en se mettant sur la tronche, dans une de ces bastonnades où la fourrure et les griffes volent en éclat. On les traitait de semeur de panique, le calvaire des riverains, c'est précisément l'impression qu'ils aimaient donner.
Il m'arrivait de moisir des heures entières aux pieds d'escaliers tous pétés, le fuji froid entre les doigts, la gueule à l'envers, le cul sur le béton ou l'inverse, à attendre que les mecs tapent leurs tricks. Et alors que je pensais sérieusement l'affaire pliée, que plus rien ne se passerait du reste de la journée. Vl'a que l'un de ses foutus branleurs, trop farouches pour abandonner sans tenter le coup une dernière fois, se mettait à replaquer le truc avec fracas. Savoir que je venais de réussir à choper l'instant, c'est ça qui était exaltant.
Réussir la bonne photographie pour le commun des mortels dira t-on, ne tient souvent qu'à peu de chose. Les uns parleront volontiers de paramètres techniques tous justes bons à choper des maux de têtes, les autres évoqueront le coup du sort, l'intervention divine ou je ne sais quoi de paranormal. Ce que j'ai à dire la dessus, la chance compte, provoquer ça chance compte, mais les gens qui comptent uniquement sur la chance ne durent jamais bien longtemps.
Mick